Review: Elementary « While you were sleeping »

Elementary (c) CBS

Elementary (c) CBS
Jonny Lee Miller (Sherlock Holmes)

Si les adaptations cinématographiques et télévisées de l’oeuvre d’Arthur Conan Doyle sont légion, toutes n’ont pas été pensées de la même manière. C’est précisément ce qui rend une adaptation plus intéressante ou plus fidèle à l’oeuvre originale qu’une autre. On se souvient donc des premiers films de 1939 avec le tandem Basil Rathbone (Holmes) / Nigel Bruce (Watson), ou encore de la série the Adventures of Sherlock Holmes (1984) avec Jeremy Brett dans le rôle titre et David Burke dans le rôle du Docteur Watson. Dans les deux cas, ces adaptations restent en mémoire pour leur qualité, ainsi que pour la fidélité de mise en scène des personnages principaux. On se souvient également de Sherlock Holmes et Sherlock Holmes: a game of Shadows, de Guy Ritchie, qui ciblait davantage le grand public et les amateurs de films avec plein (trop) d’action que les connaisseurs de l’oeuvre originale. Le point commun entre ces adaptations: le tandem Holmes / Watson évolue dans son environnement original, en Angleterre, et à l’époque victorienne.

Dans la catégorie des transpositions, il n’y avait jusqu’à présent qu’à retenir quelques téléfilms avec Basil Rathbone ainsi que l’excellent Sherlock de la BBC. L’idée de départ avait semblé complètement folle puisqu’elle consistait à placer le personnage dans un contexte qui nous est plus familier, incluant téléphones portables et internet. Steven Moffat et Mark Gattiss (connus également pour leur collaboration sur la série Doctor Who et, respectivement, sur Jekyll et Hercule Poirot) ont tenté l’aventure et la série rencontra rapidement un succès assez étourdissant.

Surfons sur la vague Sherlock Holmes !

Au départ, il n’y avait de la part de CBS qu’une envie de faire un remake américain de Sherlock, mais aussi bien Steven Moffat que Mark Gatiss refusèrent de leur accorder ce droit. Petite parenthèse juste pour dire que oui, quand quelque chose d’un peu original fonctionne, que c’est anglais, et que c’est original, il FAUT faire un remake américain (citons simplement et de manière non exhaustive the Office, Being Human, ou encore Shameless, dont nous vous parlions il y a peu). Du coup, CBS opta pour sa propre transposition de Sherlock Holmes à notre époque et commença à communiquer autour d’Elementary. La toile s’enflamma sur les réseaux sociaux: les connaisseurs sentaient venir le massacre et les fans de Sherlock sentaient venir le copycat ridicule à la sauce américaine (et avec rires enregistrés en bande son, le truc immonde) pendant que les scénaristes de Sherlock souriaient avec crispation et se contentaient de quelques mises en garde purement professionnelles. Mais pourquoi Sherlock Holmes ?! Après le visionnage du pilote, c’est la seule chose qui m’est durablement restée en tête. Apporter autant de changements pour proposer une transposition originale, est compréhensible, mais dans cette proportion, le danger guettait. Et alors, pourquoi ne pas avoir simplement créé un héros irascible de toute pièce, lui avoir adjoint un compagnon qui soit un ex-chirurgien, et l’avoir laissé mener des enquêtes ? Trop de changement tue le changement; c’est vrai également pour Elementary. En plus d’oublier l’époque victorienne, on oublie donc l’Angleterre et le docteur Watson tel qu’on le connaît…

Avant même que le projet n’ait trouvé des scénaristes, Elementary faisait des déjà des vagues. Et rien ne s’est arrangé par la suite à mesure que les informations ont commencé à filtrer. Situer Elementary à notre époque rendait l’exercice assez périlleux, donc pour réellement faire taire les rumeurs et se démarquer de Sherlock, on trouva LA solution idéale: le docteur Watson serait de sexe féminin. Et là sur la toile, les fans déversèrent bile et sarcasmes sur tous les supports existants – difficile de ne pas les comprendre au premier abord. Ce qui avait sans doute été pensé comme une idée géniale s’est très vite révélé être une manière de tendre le bâton pour se faire battre…

Elementary sur le grill

Tout le monde attendait le créateur Robert Doherty (Tru Calling, Medium…) au tournant, et le paquet a donc été mis sur la promo autant que sur l’écriture. L’idée ?

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Elementary (c) CBS
Une série « originale » de Robert Doherty

Un format de 45 minutes commun à celui des Experts ou de NCIS (également produites par CBS) et monté comme ces séries policières sur le modèle suivant: le crime (les 15 premières minutes), le faux suspect (les 15 minutes suivantes), et la résolution de l’affaire (les 15 dernières minutes). Pas de réel aspect « feuilleton » au premier abord, ce qui implique une certaine indépendance des épisodes les uns par rapport aux autres même si de rares éléments de continuité apparaissent ça et là.

Concernant les deux personnages principaux, beaucoup d’aménagements dans leurs caractères respectifs afin de les faire cohabiter au mieux: Sherlock est intenable, Watson a une patience de fer et semble se moquer royalement de tout… et c’est tant mieux, parce ça évite d’avoir à écrire des dialogues où avoir de la répartie est nécessaire ! Le personnage de Sherlock Holmes est également clairement décrédibilisé faute de suffisamment de soin apporté à l’écriture des scènes d’investigation, notamment lorsque certaines déductions tombent un peu comme des révélations et ne reposent pas sur grand chose de tangible (ou de non coupé au montage, ce qui est également une possibilité); des explications manquantes qui tendent à faire passer les déductions pour de simples devinettes, comme Joan et les policiers le supposent à certains moments. Jonny Lee Miller s’en sort bien – même très bien – dans le rôle de l’hyperactif-hypernerveux et de l’ex-junkie. Dans le rôle de Sherlock Holmes, c’est déjà plus compliqué puisque ces caractéristiques semblent toutes droit sorties de nulle part, si l’on s’en réfère à l’oeuvre originale. Joan Watson (Lucy Liu) est plate, glaciale et distante, accentuant le fait qu’aucune alchimie n’existe réellement entre elle et Holmes. C’est d’ailleurs sur ce dernier que repose toute l’émotion de certaines scènes; un comble pour un personnage censé n’être que peu affecté par le monde qui l’entoure et les gens qui croisent sa route… un peu comme si les rôles se trouvaient inversés.

Des altérations apparemment sans grande importance, mais qui amènent à se demander pourquoi avoir choisi Sherlock Holmes comme personnage principal si c’était pour le changer autant; Elementary aurait tout autant gagné à mettre à l’affiche un héros détective créé de toute pièce qui ne s’appuie sur aucune oeuvre littéraire mondialement connue.

Et le pilote, du coup ?

Le teaser annonçait quelque chose d’intéressant, mais après visionnage c’est une toute autre histoire. Sur le coup, l’idée de l’existence d’un cahier des charges propres aux séries d’investigation s’est clairement imposée, après observation des éléments – redondants – propres au genre:

  • côté artistique de certains plans pas vraiment essentiels à l’intrigue, mais c’est joli alors on les met quand même.
  • le background traumatisant des personnages est à peine effleuré
  • la morale omniprésente: boire, se droguer, c’est maaal !
  • le lieutenant de police brut de décoffrage qui passe ses nuits dans des pubs irlandais: le caractère irlandais du pub renforçant le côté « brut de décoffrage » – bien entendu – parce que ça aurait été tout de suite moins flagrant si le lieutenant en question s’était installé dans un bar pour consommer des appletinis à la chaîne… (les clichés ont la vie dure)

Sherlock est un toxicomane doublé d’un alcoolique – prends-toi ça dans les dents Conan Doyle ! – et se voit imposer par son père un compagnon sensé l’accompagner dans son retour à la vie « normale » d’après cure de désintoxication. Un compagnon qui répond au nom de Joan Watson, qui est un ancien médecin, et qui d’emblée convainc encore moins que Sherlock… Alors on essaie de s’accrocher jusqu’au bout en se disant qu’en fait tout ceci n’est qu’une vaste blague et que la série commencera d’ici quelques secondes. Mais au bout d’une demi-heure à se le répéter en boucle, on finit par accepter la vérité et on se résigne – si si, j’ai osé le dire – à attendre passivement la fin.

Côté intrigue, rien de bien extraordinaire non plus. Le crime n’est pas inédit et aurait pu figurer dans n’importe quel épisode des Experts ou de NCIS, mais ce n’est pas le plus agaçant. Ce qui est le plus agaçant, c’est de voir un personnage normalement génial et doté d’une intelligence clairement supérieure en être réduit à l’état de roquet accroché à son os dans l’avant-dernière ligne droite du pilote: en clair, Sherlock sait qui a fait le coup et pourquoi, mais ne parvient pas encore à le prouver… ce qui nous donne un équivalent assez frustrant de « j’ai lu le scénario, donc je sais que c’est ce type qui a fait le coup » couplé à un « j’ai une boule de cristal et je sais m’en servir ». Bref, tout ça pour dire qu’au lieu de réfléchir à la question dans tous les sens et de manière obsessionnelle, Sherlock emprunte simplement la voiture de Joan et s’en sert comme bélier contre la voiture du suspect. Une action complètement sensée et que tout le monde parviendra sans doute à expliquer, j’imagine…

Pour conclure positivement sur le pilote: les plans artistiques de New York étaient par moment vraiment sublimes. Mais tout le monde s’accordera à dire que ça ne suffit pas pour faire une bonne série (un documentaire en milieu urbain à la limite, et encore…). Le meilleur moment ? Les écrans noirs d’avant et après coupure publicitaire.

While you were sleeping: le crash test

La tradition veut que pour séduire les chaînes de télévision, il faille en mettre le plus possible dans le pilote pour montrer ce que la série a dans le ventre. Cette accumulation d’un peu tout ce qui rend un pilote vendeur tend souvent dangereusement vers le remplissage: on sait qu’on a 45 minutes pour en mettre plein la vue, du coup on met tout ce qui passe, l’action, l’humour, les flash-backs… bref, on n’épargne rien aux téléspectateurs. C’est à la base pour cela que cette review regroupe à la fois le pilote et l’épisode 2, « While you were sleeping » et non pour une question de frénésie d’Elementary de ma part, parce que l’épisode 2 est en général le reflet d’ajustements savamment dosés par les scénaristes avant de donner son véritable rythme de croisière à la série. Et en fait, cet épisode 2… se révèle être dans la lignée du pilote, mais avec un rythme beaucoup plus lent – infiniment plus lent, pour être exacte – avec les mêmes travers, les mêmes fausses évidences et les déductions / devinettes qui les accompagnent. Une pure perte de temps ? La question mérite réflexion.

On savait depuis le début du pilote que Sherlock était un ancien addict à diverses drogues, et on avait essayé d’admettre ce détail comme étant probable (je dis bien « essayer »… ça aura son importance pour la suite). Cette addiction passée est assez régulièrement pointée du doigt de manière négative – la morale, encore elle ! – et devient un atout pour détecter un premier suspect. Oui, les addictions permettent ce genre de choses apparemment, et tout le monde sera sans doute ravi d’apprendre que Sherlock a la capacité de détecter des drogués comme ça, juste en les regardant. En étoffant un peu de notre côté avant un blackout total de cerveau, on se doute que c’était une question d’yeux qui clignaient sans doute un peu trop (mais aucune trace à l’écran, toutefois) ou de veine qui saillait un peu trop (idem, aucune trace à l’écan)… mais on reste quand même perplexe devant la tactique qui a consisté à menacer un chef d’entreprise de dévoiler à tous son addiction simplement pour obtenir des informations de sa part. Alors du coup, on sort les carnets et on note: les addicts sont forcément coupables de quelque chose, donc les asticoter est tout à fait NOR-MAL.

Du côté de l’enquête à résoudre, on s’attendait bien évidemment à quelque chose de beaucoup plus complexe que le malade à l’alibi en béton qui en fait réussi par on ne sait quel moyen à faire le coup. Je passerais donc rapidement sur le fait que c’est un scénario qui a déjà été vu et revu dans pas mal d’autres séries pour me concentrer sur la manière dont le mystère a été résolu… par Watson. Watson qui est sensé émettre tout un tas de suppositions plus ou moins fondées qui boostent l’esprit prodigieux de Sherlock. Sauf que non, Watson résoud quasiment l’affaire seule. Là encore, c’est normal. Et la solution est ridicule au possible: la meurtrière se plonge volontairement dans un coma profond et réussit à en sortir pour aller tuer des gens avant de se replonger dans le coma pour ne pas être soupçonnée. Mais admettons: si la solution elle-même est complètement ridicule, quelle probabilité y a-t-il pour que l’on réussisse à deviner la fin de l’épisode ?

Alors une fois encore, la science de la déduction si chère au personnage de Sherlock Holmes est réduite au statut de devinette, parce que tout le monde y va de sa petite proposition sans réellement se baser sur quoi que ce soit. Que cela soit volontaire ou non de la part des scénaristes, cela transparaît de cette manière à l’écran et achève de rendre le tout ridicule. Merci, CBS !

Côté jeu d’acteur, Lucy Liu reste égale à elle-même et glaciale au possible. On notera également que Jonny Lee Miller fait toujours ce qu’il peut pour sauver ce qu’il est encore possible de sauver mais que son Holmes bondissant et farfelu ne tardera sans doute pas à se transformer en Jack Sparrow s’il continue sur cette voie…

Rating: ★☆☆☆☆
Avis: Elementary est sans doute la pire adaptation de Sherlock Holmes sur laquelle il m’ait été donné de poser les yeux. Après digestion de cette information, la série n’est pas si mauvaise que cela et ne propose pas de mystère à résoudre moins crédible que ceux développés chaque semaine dans les Experts ou House MD. C’est simplement le fait de prétendre adapter l’oeuvre de Conan Doyle qui rend le tout ridicule au possible, notamment avec cette fâcheuse tendance à assimiler déduction et devinettes et à lancer des évidences toutes les 10 minutes pour bien maintenir les téléspectateurs éveillés entre deux coupures publicitaires. Avec des personnages inventés de toute pièce, Elementary aurait à la fois gagné en originalité et en audience. Surfer sur une tendance demande un certain talent au niveau de l’écriture… et très clairement, Robert Doherty est passé à côté de pas mal de choses.

Diplômée en Marketing / Communication et en Médiation culturelle, elle est Editrice Web et Geek à temps plein pour Britishg3eks comme dans la vie réelle. Rompue à l’exercice du reviewing et de la traduction dans le domaine du sports entertainment, passionnée de jeu de rôle et de street art, mauvaise guitariste et longboardeuse débutante, elle parcourt l'Europe et arpente villes et festivals un appareil photo à la main.

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